"Il sentait au-dessus de lui le vaste dôme indifférent et la marche des corps célestes; au-dessous, la terre qui l'avait porté l'avais pris contre son sein".
James Joyce "Portrait de l'artiste en jeune homme". Editions Gallimard - Folio- Chapitre IV p.257.
Tente en forme de polyèdre inspirée de l'œuvre "Melencolia"d'Albrecht Dürer et construite avec une structure en métal (dimension: 3mx2m70x2m70) recouverte avec de la toile à beurre, sur laquelle est projetée la vidéo (4 minutes en boucle) du visage d'une jeune femme au repos entrecoupée de plans où s’inscrivent sur fond noir les directions de "là" d’"ici" et de "soi" .
En raison de la légèreté et transparence de l'étoffe utilisée, la vidéo est visible autant du côté intérieur qu'extérieur. Le spectateur est invité à y entrer par l'ouverture d'une des faces.
«Dormissimo» propose, donc, un rendu en perspective de l‘image en mouvement. L’image ainsi projetée sur un écran en 3D ouvert, invite le spectateur à s’immerger, à faire corps avec l‘installation. Ce procédé permet une double lecture, à la fois projective et introjective. De phénomène optique extérieur, l‘image en mouvement devient enveloppe: elle s’allie à l’intime et s’associe au corps du visiteur qui déambule, multipliant ses directions et points de vue.
Le polyèdre/écran aux proportions d’or inspirée de l'oeuvre "Melencolia" d'Albrecht Dürer épouse, ici, l’oblique du visage d’une «Muse Endormie»* (1). Guidé par des directions antinomiques ponctuant cet espace, l’échange onirique entre le spectateur et la dormeuse peut alors commencer.
Installation: Video projection of a sleeping young woman onto a light cotton stucture shaped as a polyhedron ( inspired by Dürer piece Melencolia -. Half of one of the sides is opened, so you can come into it and watch the video from inside too. 10'x9'8x9'8
texte de Simone Dompeyre
La structure happe dès l’entrée de la chapelle, ce que réclament ses dimensions de 3mètres quasiment multipliés en sa base triangulaire alors même que sa forme éveille des souvenirs….
Sa structure flotte autant que sa structure qui l’enserre le lui laisse faire, car en toile à beurre triviale, elle garde de la transparence et de la légèreté. Une face du tissu se soulève sur un seuil qui invite par une broderie-main inattendue à entrer…ce n’est pourtant pas une maison de jeu où se tenir debout….et le lieu est occupé par un visage de jeune dormeuse, le plus souvent les yeux fermés selon l’injonction de ce qui s’avère en son italique, un titre Dormissimo…avec ce superlatif accordé au sommeil. Son sommeil est porté par des variations sur alto, improvisations jouées par une autre jeune fille Lisa Cardonnet que le film découvre en fin…plutôt de l’ordre mineur, elles répondent à l’origine de l’installation, le polyèdre de la Melencolia, de Dürer que Gwen Gérard reconnaît aussi en fin de bande, en y incluant l’image de la gravure originelle selon un long travelling vertical porté à son tour par des respirations de dormeurs.
S’y accordent ses trois intertitres, avec des lettres majuscules mais en graphie des plus simples et lisibles :ICI BAS/HORS de SOI /HAUT de Là dont la troisième étape, ôte la dénotation religieuse en transformant, le monde d’ailleurs, l’au-delà en localisation répondant à la trajectoire réclamée pour l’appréhension de l’installation… regarder, voir, écouter, se souvenir. Cependant au hors de soi, ne répond aucun signe d’exaspération ni même de simple agacement…cette sortie quitte aussi le noir et blanc, y compris pour colorer une fois le visage dormant, et suit des pieds dansant, ou des mains jouant sous la toile, elle aussi rosie…aucune mélancolie au sens généralisé du terme.
Ainsi Dormissimo ouvre en strates diverses approches, celle au premier degré de la structure, avec la satisfaction- rapide- de saisir ce à quoi rêvent les jeunes dormeuses, puisque l’image se lit en intérieur et en extérieur.
Dormissimo n’entraîne pourtant pas à dormir mais à penser, sa construction réclame la main qui coud, le tissu du quotidien, la nécessité de nouer des rubans pour que tienne l’installation mais elle nécessite la mathématique, elle assemble en sa broderie pensée et pratique liée… pour dire sans dire, pour dire en réclamant de savoir.
Dans sa particularité, le rhomboèdre nous entraîne à revenir sur la lecture que l’on fait – elle aussi trop rapide du projet de Dürer. L’installation fait aussi histoire de l’Histoire…
Quand, au début du XVIème, est réanimée surtout par les cercles néo-platoniciens et notamment à Nuremberg, la nécessité de figurer en ensemble de signes symboliques, des concepts philosophiques, la langueur dont, depuis l’Antiquité, la source est attribuée à Saturne, est désormais comprise comme une inquiétude fondamentale liée à la recherche de l’absolu. Très loin, cependant, de la considération négative d’un état de défaillance dû à un manque de volonté, la mélancolie malgré son étymologie de conséquence de « bile noire/ la mélas » s’associe à la création y compris l’artistique. La réforme luthérienne expose, alors, les hommes à l’exercice de la conscience et de la liberté de pensée, et les peintres adeptes de cette pensée allégorisent cette approche comme Mélancolie.
Dürer humaniste parmi eux, inclut dans son allégorie les possibilités techniques et scientifiques contemporaines ; ce faisant il induit une autre approche de la peinture comme menée par la pensée : son œuvre avec la faute d’orthographe qui la différencie d’emblée – Melencolia - se lit comme un rébus. L’être ailé allégorie de l’esprit humain est partagé entre le désir de comprendre et l’impuissance à percer les mystères du réel et de la création : le chien à l’animalité latente, la balance du jugement, la bourse de la richesse, le sablier du temps, la sphère perfection de la géométrie ; les outils s’associent aux diverses disciplines architecture, astronomie, topographie, mécanique, anatomie porte le désir de la recherche et du savoir qui ne distingue alors pas la théorie de la pratique, il ne s’en afflige pas mais le pense lié à la nature de l’humain…
De cette abondance d’objets-signes, Gwen Gérard ne retient que le polyèdre … plus encore que la table de Jupiter ou carré magique désigné dans l’espace de la gravure par l’aile et dont la somme des chiffres calculée selon l’horizontalité, la verticale voire les diagonales atteint toujours 34 ; elle ne retient que le polyèdre qui conserve intact son pouvoir d’étrangeté de 1514 en 2013.
Construit selon une géométrie précise, calculable, il accepte les lois de la perspective, mais il déroute comme insondable. Il ne figurait pas parmi les corps originels platoniciens, il ne figurait pas parmi le modèle d’objets à construire...Pris par le calcul, il tient mais comme en équilibre fragile. Possible mais insondable. Opaque et transparent.
Le travail de Gwen Gérard a su percer cet antagonisme existant pour les neurones, comme métonymie de l’œuvre artistique… appréhendable, descriptible mais jamais réellement circonscrite, elle est dans un lieu, là,
ICI BAS – notre espace /HORS de SOI- car l’installation ne s’arrête pas à un regard, sa définition calculée se transforme HAUT de Là de cette précision arithmétique.